Le jour où j'ai tenté de déterrer le passé
- Taïlamé
- 3 sept. 2024
- 3 min de lecture

Commencer une recherche généalogique, c’est un peu comme ouvrir une boîte de Pandore. Pour ma part, j’ai choisi d’explorer une branche de mon arbre familial souvent négligée en Guadeloupe : celle des ancêtres esclavagistes. J’ai décidé de plonger dans l’histoire inconfortable de ceux qui ont tenu le fouet, espérant comprendre un peu mieux ce pan sombre de mon patrimoine.
Avant de m’aventurer physiquement dans les méandres des archives départementales, je prends soin d’appeler pour m’assurer du processus. Une voix douce et rassurante au téléphone me promet que tout sera simple : il me suffira de m’inscrire sur place.
Encouragé·e par cette facilité apparente, je décide de préparer mon excursion en explorant leur site web. Malheureusement, ce dernier ressemble davantage à une énigme médiévale qu’à un outil moderne : une mine d’informations, certes, mais enfouie sous des couches de confusion. Abandonnant cette approche, je me résous à découvrir tout cela une fois sur place, espérant que le contact humain fera des merveilles.
Le jour venu, je me présente aux archives, où deux femmes d’un certain âge m’accueillent sans grande chaleur, plus préoccupées à commenter la vie de leur collègue absente qu’à m’aider. Après quelques échanges, elles m’expliquent qu’il me faut remplir une feuille recto verso avec un crayon papier. Tandis que je m’attelle à cette tâche, une scène tout droit sortie d’un film d’auteur se déroule devant moi : un couple jeune, tatoué, habillé plus pour une plage que pour un lieu d’archives, pénètre dans le hall avec une boîte en carton. Je me dis qu’ils viennent vendre des babioles à la sauvette, mais non ! Ils ont rendez-vous avec un agent des archives, qui descend acheter leur marchandise. D’autres agents les rejoignent, transformant l’accueil en une sorte de marché improvisé.
Je termine enfin ma fiche et la remets à une des personnes de l’accueil, qui découpe en retour d'une feuille A4 un petit morceau de papier comportant mes nom, prénom et numéro de matricule fraîchement imprimés. « Gardez-le bien, » me dit-elle avec gravité. Me voilà avec le précieux sésame me donnant accès à mon passé. Encore un peu perplexe, je monte à l’étage, curieux·se mais déjà un peu désabusé·e.
Là-haut, je découvre une belle salle baignée de lumière, un vrai contraste avec l’agitation que je viens de quitter. Je m’approche d’un guichet, où un homme, manifestement désœuvré, m’informe que je devrai remplir un autre document. Mais avant cela, son collègue viendra m’expliquer le processus. J’observe ce dernier, une véritable boule de nerfs, sa tête enfouie dans ses épaules, s’agitant comme s’il craignait de faire exploser la salle à chaque mouvement. Quand le petit homme nerveux finit par s’approcher de moi, il m’accueille avec un flot d’instructions, m'indique que je dois prendre des notes, m'enlève le crayon papier de la main et fait mine de les prendre, se ravise, me rend le crayon, le reprend… Chaque geste est une nouvelle preuve de son agitation, et je sens la mienne monter en parallèle.
Finalement, vivement encouragé par mes remarques, le petit homme nerveux se calme un peu et m’explique comment chercher les références sur le site et les noter correctement. Armé·e de ces précieuses indications, je me rends au comptoir du magasinier, à qui je remets un nouveau bout de papier comportant les références du document que je souhaite consulter. Il revient quelques minutes plus tard avec un registre imposant que je commence à feuilleter avec espoir. Mais très vite, je réalise que quelque chose ne va pas : les dates et les informations ne correspondent pas. Il m’a donné le mauvais registre.
Épuisé·e par cette série de mésaventures, je décide d’abandonner pour aujourd’hui. Mes ancêtres ont suffisamment fouetté pour que je ne me flagelle pas davantage. Maintenant que je comprends le fonctionnement de cette machine administrative archaïque, je reviendrai mieux préparé·e, avec plus de patience.
Je quitte le bâtiment, partagé·e entre déception et soulagement, en me demandant comment un lieu aussi riche en histoire peut être si figé dans le passé, jusque dans ses méthodes. Peut-être est-ce là le paradoxe des archives : gardiennes d’un passé qu’elles peinent à laisser derrière elles.
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